Demain, le pape Benoit XVI arrive à Paris pour une visite de deux jours. Dans la république de Sarkozy qui aime ce qui brille et ce qui tinte, on pouvait s’attendre à une réception bruyante. L’homme qui a remis au goût du jour certains atours clinquants de la papauté d’avant Vatican II – l’ombrellino, le camauro de velours rouge, la férule de Jean XXIII ou la messe en latin – a tout pour plaire. Après examen de son itinéraire et des réjouissances prévues, on ressort un peu inquiet. La France laïque ravale sa superbe indépendance.
Que les choses soient claires : je ne vois aucune raison de ne pas recevoir le Pape. Chef spirituel de la plus importante religion en France, chef d’Etat, il mérite d’être accueilli par les Parisiens qui le souhaitent, d’être protégé par un dispositif de sécurité adapté et d’être reçu par des représentants de l’Etat. Je trouve cependant qu’on ait fait trop. Je trouve qu’on traite bien légèrement la laïcité française et qu’on ne respecte pas la liberté de croire ou de ne pas croire des Parisiens.
A titre personnel, il est vrai, Benoit XVI représente de près ou de loin tout ce que je combats. Sa défiance vis-à-vis de la laïcité (il cite la « saine laïcité américaine » en exemple, ce qui veut tout dire), sa danse du ventre particulièrement équivoque à destination des catholiques intégristes proches de l’extrême droite (comme le trop fameux Philippe Laguérie, curé de Saint-Nicolas du Chardonnet), son soutien irréductible aux positions les plus rétrogrades et les plus dangereuses sur l’égalité entre les hommes et les femmes, le droit à l’avortement ou la sexualité, tout cela fait de lui le réactionnaire par excellence. Mais il s’agit du Pape, du chef de l’Etat du Vatican – on peut combattre ses idées, il faut néanmoins souffrir et accepter son existence et ses visites, dans une certaine mesure.
La mesure. Voilà ce qui manque. Je passe sur les rodomontades et les acrobaties protocolaires de l’Elysée qui ne m’intéressent pas. En revanche, le grand carnaval orchestré par l’Etat à Paris mérite qu’on s’y attarde parce qu’il est choquant. Dans le centre de Paris, on n’échappera pas à la papamobile. L’immaculée voiturette ira de l’Elysée au Collège des Bernardins, puis à Notre-Dame, puis de l’Institut aux Invalides – protégée par un « périmètre d’isolement ». Une petite ballade ponctuée par des rassemblements publics, une messe à Notre-Dame le vendredi, une autre sur l’Esplanade des Invalides, le samedi. Tout cela bien évidemment retransmis en direct sur des écrans géants installés sur les quais de Seine. On n’en perdra pas une miette et je suis ravi pour ceux des catholiques qui s’en inquiétaient. En revanche, je trouve cela particulièrement agressif et déplacé pour tous les autres Parisiens, catholiques ou pas, à qui la République laïque Française imposera ce cérémonial à grands renforts de moyens et de dispositifs extraordinaires : fermeture de stations de métro et de RER, circulation interrompue, grand spectacle télévisé, messages idéologiques et religieux aboyés à pleins poumons.
A Paris, je croyais qu’on était libre de circuler, libre de travailler, libre de flâner. Je croyais aussi que l’espace public appartenait à tous. Apparemment, deux nouveaux jours sains seront chômés dans le calendrier républicain. Moi, je serai samedi et dimanche à la Courneuve, à la fête de l’Humanité. Pas de voiturette blanche, de camauro, de férule de Jean XXIII ou de débats en latin. Nous n’imposons pas de « périmètre d’isolement » : nous aimons que les gens aient le choix de venir nous rencontrer ou pas. Pas d’écrans géants sur les quais de Seine, non plus. La ville est ouverte, l’espace public est un lieu d’échanges et de rencontres. On parlera des problèmes des Français, de politique et de société. Et si vous veniez ?
Il est vraiment bon ce blog!!!
Rédigé par : Vieu-Charier | 11 septembre 2008 à 17:53