L'avantage des vacances, c'est qu'elles me laissent un peu de temps pour bouquiner. J'ai profité de quelques jours de repos pour me plonger dans la pile de livres qui patientaient depuis quelques semaines sur ma table de chevet. L'un d'entre eux m'a marqué : L'architecte, la ville et la sécurité de Paul Landauer paru chez PUF cette année.
L'auteur part du constat selon lequel les formes des villes ont toujours été déterminées par les risques auxquels les habitants sont exposés : risques d'inondation, risques d'incendies, etc. Face à la montée des inquiétudes liées à l'insécurité dans les sociétés contemporaines, il s'agit donc de savoir comment les villes évoluent pour répondre à cet enjeu. Longtemps, cette aspiration à la sécurité s'est matérialisée par la frontière : les remparts, les murs, la barrière, la grille. Tout cela n'a pas disparu : ce sont les fameuses "gated communities", ou encore le mur de Rueil Malmaison dont j'ai déjà eu l'occasion de parler dans un précédent papier. Avec ces dispositifs, il s'agit d'exclure par avance les éléments susceptibles de produire de l'insécurité.
Selon l'auteur, nous sommes aujourd'hui passés à une autre étape. La sécurité n'est plus apportée par la barrière, mais par la gestion des flux. Il s'agit de faire en sorte qu'il n'y ait pas d'attroupement, pas de rassemblement intempestif, de faire que tout le monde bouge tout le temps, et ainsi d'éviter le choc de l'affrontement, de la rencontre. Il évoque ainsi l'exemple du Stade de France conçu de telle manière que les flux des supporters puissent emprunter des voies distinctes sans jamais se croiser. On pourrait aussi mentionner la débauche de créativité visant à empêcher les passants de s'installer durablement sur l'espace public. On pense aux sièges inclinés sur les quais du métro qui empêchent la position statique. Le Parisien et le Monde exposaient cette semaine tous les stratagèmes visant à empêcher les SDF de s'installer sur la voie publique. Précisément, ce ne sont pas seulement les SDF qu'on empêche de s'asseoir, c'est le fait même que n'importe quel citoyen puisse rester durablement immobile qui se trouve mis en cause. Seuls échappent à cette logique les lieux payants : terrasses de cafés ou de restaurants.
Ce qui se dessine, à travers cette évolution, c'est une société où chaque a son couloir, où chacun est assigné à une file. Il n'est même plus nécessaire d'exclure a priori de l'espace public un certain nombre d'indésirables (selon une logique de frontière qui était jusqu'à présent la voie privilégiée pour répondre à l'aspiration à la sécurité en ville), puisque de toute façon on ne fait que passer. On n'empêche plus d'entrer, on empêche de se poser. Au final, c'est la mort de l'espace public qui se dessine. C'est la disparition de cet esprit de la ville qui fait que, sur un même espace, se croisent et se mélangent une diversité d'hommes et de femmes issus d'horizons différents. C'est la fin de ce que Baudelaire décrivait si bien dans ses Tableaux Parisiens.
Comment alors, à rebours de cette évolution désastreuse, concilier préservation de l'esprit de la ville et réponse à l'impératif de sécurité ? Comment, dit l'auteur "vaincre la peur sans sombrer dans l'ennui". Voilà l'un des enjeux auxquels nous sommes confrontés dans une ville comme Paris. Comment recréer de l'espace public et donc redonner sa chance au droit à l'immobilité ? A n'en pas douter, les grands chantiers engagés à Paris dans les années qui viennent nous donneront l'occasion de nous confronter à cette question. Au chapitre des travaux pratiques, je pense notamment à la rénovation du forum des Halles qui demeure l'un des lieux parisiens dédié à l'immobilité et très largement investi par la jeunesse francilienne. Il faudra justement veiller à ce que sa transformation ne se traduise pas par une disparition de cette dimension-là. Du beau boulot en perspective...
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