Quelques réflexions parues dans l'édition d'aujourd'hui du monde.fr, au sujet de la politique du gouvernement en ce qui concerne les familles...
Dans la vaste entreprise engagée par le gouvernement pour rejeter sur d'autres la responsabilité de son échec en matière de sécurité, deux catégories semblent occuper une place de choix : les maires de gauche, accusés de laxisme, et les mères de famille, jugées inaptes à tenir leurs enfants.
Des maires aux mères, un même discours et une même stratégie : tous responsables, sauf l'Etat. Etrange tour de passe-passe qui permet à un gouvernement de se dégager de toute responsabilité dans un secteur régalien en renvoyant la faute aux élus et aux familles. Autant la réplique à la mise en cause des édiles de gauche n'a pas tardé, autant les attaques contre les parents "défaillants" sont restées sans réponse forte.
Pourtant, nous assistons depuis quelques mois à une stigmatisation des familles qui dépasse l'imaginable. Qu'on mesure l'arsenal répressif déployé en moins d'un an à l'encontre des parents jugés "démissionnaires" : en janvier 2010, l'Assemblée nationale accordait aux préfets le droit d'établir un couvre-feu pour les mineurs de moins de 13 ans entre 23 heures et 6 heures. En Juin 2009, elle adoptait en première lecture une proposition de loi d'Eric Ciotti visant à suspendre les allocations familiales des parents jugés défaillants. Un mois plus tard, le même député proposait que les parents des mineurs délinquants puissent être condamnés à 2 ans de prison. En plein mois d'août, c'est un autre parlementaire de l'UMP qui prend le relais et suggère de transformer l'allocation de rentrée scolaire en bons pour pallier les risques de "dévoiement".
Où s'arrêtera l'escalade ? Certes, la ministre de la famille a jugé utile de sonner la fin de la récréation et n'a pas retenu cette dernière proposition. Il n'en reste pas moins que le mal est fait et que des millions de Français ont ainsi entendu un élu de la République faire le procès de ces parents accusés de "dévoyer" l'aide sociale.
Le temps où la droite était réputée défendre la famille est décidément bien révolu. Tout se passe en réalité comme si elle avait cessé d'aimer la famille dès lors qu'elle ne correspond plus à l'idée qu'elle s'en fait. Elle aime peut-être la famille, une certaine idée de la famille, elle n'aime pas les familles.
Comme souvent, Eric Zemmour présente l'avantage de pousser la logique jusqu'au bout : il suggérait, en avril dernier, de "supprimer certaines allocations aux mères seules" pour en finir avec "cette plaie" que constituent les familles monoparentales. Il est difficile d'être plus clair : les familles monoparentales, voilà l'ennemi. Ce discours n'est pas neuf. C'est une vieille rengaine entonnée par les conservateurs américains lors des émeutes de Los Angeles, en avril 1992, pour expliquer la vague de violences. Il fut repris en février 1993 lorsque deux enfants de Liverpool en tuèrent un autre. Pourtant, contrairement à un préjugé aussi tenace que faux, toutes les enquêtes prouvent que les familles monoparentales ne sont pas plus criminogènes que les autres.
REVALORISATION DU RÔLE DES PARENTS
Si les familles monoparentales méritent bel et bien une attention singulière de la part des pouvoirs publics, c'est d'abord parce qu'elles sont plus que les autres exposées à la précarité. Dans bon nombre de pays d'Europe, cette question est partie intégrante du débat politique. L'augmentation des familles monoparentales s'accompagne de mesures ciblées et des politiques spécifiques. En France, rien de tel depuis la création de l'Allocation parent isolé en 1976.
Pendant sa campagne présidentielle, évoquant les politiques familiales, Nicolas Sarkozy avait habilement soufflé le chaud et le froid. A ses inévitables haussements de menton sur le thème des parents démissionnaires, il avait ajouté la promesse d'accorder les allocations familiales dès le premier enfant. De cet engagement capital pour nombre de mères qui élèvent seules leur enfant, il n'est désormais plus question. L'heure n'est manifestement pas à l'attribution de nouvelles allocations. Elle est plutôt à la recherche des conditions permettant de supprimer celles qui existent déjà. La carotte a disparu. Le bâton est toujours là.
Qu'on s'entende bien : qu'il faille redonner de l'autorité aux adultes dans les quartiers les plus exposés à l'insécurité, nul ne saurait le contester. Qu'une bonne partie de la solution aux problèmes de tranquillité publique passe par une revalorisation du rôle des parents, c'est une évidence qu'il est utile de rappeler. Mais qui peut imaginer, ne serait-ce qu'une seule seconde, qu'on atteindra cet objectif en jetant en pâture les parents les plus en difficulté ?
Curieuse idée que celle qui consiste à penser – ou plutôt à faire croire – qu'on revalorisera le rôle des parents en les pointant du doigt et qu'on leur permettra de se faire respecter en les mettant eux-mêmes sous tutelle. C'est un tout autre chantier qu'il faudrait engager pour cela. C'est toute la question de l'aide à la parentalité qui mériterait d'être posée. C'est aussi sur ce terrain-là que se jouera la capacité de la gauche à construire une alternative.
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