Si les apéros dits « Facebook » font couler beaucoup d’encre depuis plusieurs semaines, il se trouve finalement peu de voix, sinon celles de quelques sociologues, pour rappeler que ces fêtes faussement improvisées n’ont rien de nouveau et presque rien de dangereux. En tout cas, elles ne le sont pas plus que n’importe quelle autre fête. Légitimement, la question se pose de savoir pourquoi elles provoquent donc autant de réactions. A Paris, ce dimanche, le champs de mars n'a pas été le théâtre de l'un de ses apéros, suite aux dispositions prises par la Préfecture - et aux multiples déclarations des uns et des autres.
A l’aune du premier coma éthylique recensé (qui est malheureusement parfois mortel), pas un festival de musique, pas un bar, pas une boîte de nuit ne résistera à cette nouvelle et étrange frénésie réglementaire. C’est une logique d’autant plus ubuesque qu’il s’agit d’alcool, un produit licite. A ce train-là, interdisons les embouteillages ou les rassemblements de voitures sur l’autoroute. Entre quatre et cinq mille morts par an, c’est quand même autrement plus préoccupant.
Lundi 17 mai, une photo largement reprise dans la presse montre l’apéro Facebook du Mans, encadré de près par des policiers. La vision de cette impressionnante démonstration de force, à la hauteur de ce que l’on déploie à l’occasion d’une manifestation, ou plutôt d’une émeute, à quelques mètres de jeunes gens en train de boire un verre, est saisissante. Ridicule, aussi. S’il faut mettre un agent derrière chaque jeune qui consomme de l’alcool, les terrasses de café seront noires de monde.
La réponse se trouve du côté du symbole. Car la seule vraie initiative utile serait de prévoir avec une association une forme d’assistance médicale, comme on le fait pour d’autres rassemblements notamment musicaux. Le reste n’est que le symptôme d’un pouvoir qui ne supporte pas que la voie publique soit un espace de liberté. Que des hommes et des femmes, a fortiori des jeunes, y organisent ce qui ressemble à un espace contradictoire, voire de contre-pouvoir.
Les générations de Woodstock ou des premières raves devraient s’en réjouir, mais certains de ses représentants sont oublieux. Le problème n’est pas la jeunesse et son malaise : ce serait trop pratique. Le problème est ailleurs, dans la gestion publique de la fête aujourd’hui.
En effet, et d’autant plus quand elle est nocturne, la fête est régulièrement attaquée depuis plusieurs années. A Paris, quelques semaines après les élections de 2008, devant le nombre ahurissant de fermetures administratives annuelles (plus de 150), j’ai alerté le Préfet de Police. L’abondance de règles et d’interdictions donne peut-être l’illusion de tout maîtriser mais en vérité c’est l’inverse. Elles finissent par ne plus rien vouloir dire ou rendre tout impossible.
L’idéologie du gouvernement se résume ainsi : rien ne doit dépasser. Du pain, des jeux, et une politique de l’émotion. A chaque problème, sa solution et son policier. Fidèle à son habitude, il ménage une exception, et de taille, pour les plus riches et les plus favorisés. Sur les dizaines de fermetures administratives parisiennes, combien concernent des lieux sélects, réservés à un public choisi, sinon trié sur le volet ? Quasiment aucune, bien sûr. A condition de mettre le prix, on peut tout se permettre.
Les autres : restez chez vous.
Sans parler d’une curieuse conception de la démocratie, c’est à l’évidence une négation des fonctions mêmes de la fête : l’inversion, le défoulement, la création d’un lieu hors du temps et de l’espace. Michel Foucault parlait d’hétérotopies pour désigner « dans toute culture, dans toute civilisation, des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l'institution même de la société, des contre-emplacements, des utopies effectivement réalisées ».
Par extension, la fête populaire en est une. L’apéro Facebook est une hétérotopie par excellence. Le pouvoir n’en est pas friand. Le gouvernement d’aujourd’hui veut leur peau. A Paris, la situation des cafés-concerts, des bars et des boites de nuit est devenue si préoccupante que la Ville organise des Etats Généraux de la Nuit Parisienne à l’automne prochain. Parce que si on ferme tout et qu’on interdit tout, la nuit aussi, les jeunes (et les moins jeunes) n’auront d’autres choix de se retrouver dans la rue.
En vérité, c’est l’éternelle histoire du pompier pyromane. A force de règles et d’émois factices, on fabrique ce qui n’existe pas. On justifie ses actes a posteriori. On fait semblant d’agir. Pour rien.
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