Il est des polémiques indignes. Celle lancée par Christine Boutin sur l’hébergement obligatoire des personnes sans domicile fixe en est une. La ministre de l’emploi n’est pas maladroite, elle sait ce qu’elle fait : du bruit. Quand les SDF meurent dans la rue et que les médias en parlent, il faut faire du bruit, toujours plus de bruit. C’est ainsi qu’on détourne l’attention de l’opinion publique. En 2006, le candidat Nicolas Sarkozy promettait qu’en 2008, « plus personne ne [serait] obligé de dormir sur le trottoir et d’y mourir de froid ». Il ne faudrait pas que cela apparaisse comme une fausse promesse ou comme un mensonge. Surtout pas.
Il ne faudrait pas que l’on apprenne que ce n’est pas le froid qui tue mais la pauvreté, la misère sociale et affective. Cachez ces pauvres que l’on ne saurait voir. Dans la société bienheureuse dont rêve Nicolas Sarkozy, ce genre de choses n’arrivent pas. La pauvreté, il y a des endroits pour cela.
Ne nous méprenons pas, cependant : Nicolas Sarkozy n’a rien inventé. L’histoire nous rappelle que les sociétés humaines ont souvent préféré éloigner et enfermer leurs marginaux. Ce que propose Christine Boutin, c’est d’en revenir à l’enfermement des vagabonds dans les asiles, comme au XIXe siècle. L’hébergement obligatoire des personnes sans domicile fixe, c’est la persistance d’une exclusion dont parle Michel Foucault dans son Histoire de la folie à l’âge classique : un mélange douteux de charité et de répression. Une société bien ordonnée dissimule ses fous, ses criminels et ses pauvres, elle les enferme et les exclut de la société des vivants.
Les associations ont raison de protester face à cette provocation gouvernementale : c’est un terrible retour en arrière. La société bienheureuse de Nicolas Sarkozy est une société qui présente bien – et les trottoirs ne seront jamais assez propres, surtout s’il reste des personnes sans domicile fixe pour y mourir. Le Président de la République a beau jeu, aujourd’hui, de démentir sa ministre – et de défendre opportunément une politique « d’équilibre et de bon sens » en stigmatisant à la fois « les intégristes de la liberté » et ceux « de la mise d'office en centre d'urgence ».
Le problème est ailleurs, ceux qui travaillent sur le terrain le savent bien. Exclure encore un peu plus ceux qui le sont déjà ne changera pas grand-chose. Une réponse simpliste et globale ne résoudra rien : les situations de ces personnes sans domicile fixe sont très différentes et appellent des réponses adaptées. De l’adolescent en rupture à l’alcoolique chronique, du travailleur pauvre au migrant en route vers l’Angleterre, leur seule caractéristique commune est de ne pas avoir de toit. Le cri du cœur de Christine Boutin – enfermez-les tous ! – est symptomatique de son impuissance et de son ignorance.
Plutôt que de s’occuper de ces 100 000 personnes en danger, que fait le gouvernement ? Il communique. Quand on lève le voile de la publicité et des effets de manche, il ne reste rien, ou si peu. Le bilan du ministère de Madame Boutin est terrible – tout comme celui de ces prédécesseurs depuis 2002. Malgré les annonces, le logement n’est pas une grande cause nationale pour ce gouvernement-là : la loi DALO est dans une impasse, les budgets sont exsangues, la loi SRU n’est pas appliquée et l’Etat a abandonné le logement social aux bons soins des collectivités locales. Comble de l’indécence, en pleine crise financière, aux antipodes des besoins réels, tout ce qu’a proposé ce gouvernement depuis un an et demi, c’est de maquiller des maisons « Borloo » à 100 000 euros en maisons « Boutin » à 15 euros par jour. Débrouillez-vous, endettez-vous.
Pourtant, des solutions, il y en a. Des solutions adaptées et progressives qui respectent l’intimité des sans-abri : l’hôtel social, la maison relais. Avant tout, ces personnes ont besoin de se reconstruire, elles ont besoin d’un espace à elles, intime. Ces structures existent mais en nombre dramatiquement insuffisant. De même pour le logement social qui concerne des populations moins précaires mais toujours fragiles. Aux 300 000 demandeurs franciliens, l’Etat a dit d’aller voir ailleurs. De demander aux communes. Encore faudrait-il qu’elles respectent toutes les 20% de logement social prévus par la loi SRU.
D’autres pays européens se sont attaqués courageusement au problème des personnes sans domicile fixe. Des politiques sont possibles, mais à long terme. Des politiques qui associent prévention, droit au logement, structures adaptées et effort budgétaire. Tout ce que ce gouvernement-là ne semble pas prêt à faire.
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.